Les leaders de demain

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Par Gilles Charest, Mba

La rapidité des changements technologiques, sociologiques et politiques exige de nouveaux réflexes, de nouvelles habiletés chez les managers.

Si nous regardons les changements qui ont frappé nos organisations depuis une vingtaine d’années : déconcentration, fusion, libéralisation des marchés, compétition pour la compétence à l’échelle mondiale, la révolution des technologies de l’information, et tous les changements que nous anticipons compte tenu de l’évolution démographique et des bouleversements anticipés à l’échelle de la planète, l’efficacité de nos entreprises, plus que jamais, demeure intimement liée à la qualité des relations qui existent entre les gens qui vivent et travaillent ensembles.

Notre impuissance à gérer le changement efficacement origine de notre tendance à penser et à structurer nos organisations de façon linéaire. La plupart des entreprises n’utilisent que la structure hiérarchique traditionnelle comme outil déterminant de communication et de prise de décision. Dans le contexte d’une organisation qui se veut dynamique, cette structure utile pour exécuter une décision est tout à fait inappropriée pour les prendre. Elle induit tout naturellement la relation maître-esclave, supérieur subordonné, dominant dominé et ce type de relation rend très difficile, voire impossible, le contrôle des systèmes humains.

La rigidité, la méfiance, le ressentiment et l’apathie générale, que génère la structure hiérarchique traditionnelle, brouillent les communications nécessaires pour un ajustement rapide aux exigences d’un environnement turbulent.

Les pressions exercées par la direction pour s’adapter aux changements aspirent toutes les décisions vers le haut de la pyramide. Le processus de décision se complexifie et les gestionnaires deviennent débordés par la tâche. Ils s’impliquent de plus en plus dans des décisions qui pourraient être facilement prises plus bas dans la structure, ce qui conduit à plus de résistance et de rigidité de la part des employés à qui les gestionnaires font de moins en moins confiance.

La solution n’est pas dans les formations des individus pour les aider à réduire leur stress, les beaux discours sur les valeurs et toutes les autres mesures de compensation. Il nous faut reconnaître la cause de cet état de fait et changer la structure de prise de décision.

Pour modifier les relations entre les individus, il faut changer les règles qui les établissent, sans quoi nous répétons constamment les mêmes erreurs et les solutions imaginées sont toujours du même type : elles encouragent le schéma de relation maître esclave.

Viser l’auto organisation

La création dans une organisation d’une structure en cercles sociocratiques permet le contrôle de l’organisation sur la base d’un nombre beaucoup plus petit de paramètres. En d’autres mots, la délégation devient possible. Pourquoi ? Parce que nous donnons l’opportunité aux membres du cercle de s’organiser par eux-mêmes.

Quand les travailleurs peuvent s’organiser par eux-mêmes, il est plus facile de leur déléguer des responsabilités car ils sont beaucoup plus enclins à prendre des initiatives.

Le mode de décision sur la base du consentement des membres et les autres règles du mode sociocratique de gouvernance va permettre cette auto-organisation. Les gestionnaires doivent apprendre à faciliter ce prise en charge de leurs employés en leur permettant de s’exprimer et de participer avec les autres à l’organisation du travail.

Comme dans les systèmes physiques, l’auto-organisation des systèmes humains requiert l’équivalence des éléments constitutifs. Les atomes dans un laser doivent être dans un état d’équivalence chimique, ce qui signifie qu’ils ne doivent pas être liés à d’autres éléments si nous voulons qu’ils s’organisent d’eux-mêmes. Cette équivalence dans les systèmes humains doit être garanti par le processus de prise de décision. Nous ne sommes pas égaux pour ce qui est des talents et du potentiel, certes, mais le consentement comme base de prise de décision nous donne un pouvoir égal. (L’égalité entre les êtres humains est d’ordre spirituel. Elle est liée à notre capacité de faire des choix.)

L’étude des systèmes auto-organisés nous indique la voie à suivre. John Nash, prix Nobel de l’économie en 1994 a démontré mathématiquement les lois qui président à ce qu’il a nommé la dynamique de l’univers. Contestant le postulat d’Adam Smith qui prétend que dans un contexte de compétition, les intérêts des individus servent l’intérêt collectif, John Nash a démontré que pour un rendement optimum, les individus d’une équipe ne devaient pas seulement s’intéresser à leurs intérêts personnels mais aussi à ceux des autres.

Quand on donne un pouvoir équivalant à chaque membre d’une équipe (groupe d’individus entretenant des liens significatifs entre eux), cette équipe va s’orienter de façon intuitive vers la solution des problèmes qui l’empêche d’opérer d’une façon optimum. Chaque individu sera non seulement en mesure de voir à son intérêt personnel, mais il devra tenir compte également pour satisfaire ses besoins de l’intérêt collectif.

Le meilleur style de gestion : être soi-même

Nous accordons, aujourd’hui, une grande importance aux styles de gestion. Nos aspirations pour un mode de gestion qui respecte davantage la nature humaine nous a fait mettre beaucoup de pression sur les gestionnaires pour qu’ils adoptent un style plus participatif de gestion. Mais est-ce possible tant et aussi longtemps que nous ne changerons pas la structure de prise de décision de l’organisation? Nous ne le croyons pas.

La question n’est pas de savoir si, en tant que gestionnaire, je suis 9,1 ou 9,9, autoritaire ou permissif. Il faut donner au gestionnaire un espace pour expérimenter le style de leadership de son choix. Dans une structure organisationnelle qui valorise les principes de gouvernance sociocratique et conséquemment adopte les règles de communication et de prise de décision conséquente, le style de gestion du manager est de moindre importance parce que nous sommes certains qu’il va recevoir le feedback approprié si les gens n’aiment pas ce qu’il fait.

Ce modèle d’organisation ne requiert pas de la part du manager de se conformer à un style à la mode dans le but de faire croire à ses employés qu’ils participent aux décisions. Ils ont de toute façon le pouvoir de décider. Ce qui devrait le libérer du conditionnement social ambiant et lui permettre lui aussi être lui-même.

Essayer de changer les gestionnaires ne nous guérira pas de notre frustration de ne pas nous sentir partie prenante des décisions qui nous concernent. Éliminer cette frustration ne demande pas seulement un changement de style de gestion mais un changement des modes de fonctionnement.

L’organisation qui apprend

Gérer une organisation qui permet à ses membres de se prendre véritablement en main requiert de la part du gestionnaire de nouvelles habiletés.

L’apprentissage de la gestion des systèmes dynamiques s’apprend d’abord par la gestion de sa propre vie. Les lois naturelles qui régissent le développement des organisations ne peuvent vraiment s’acquérir que par l’expérience personnelle.

Lorsque nous laissons les gens prendre eux-mêmes les décisions qui les concernent, il faut s’attendre à ce que, dans les cercles de travail, il y ait des tensions. Apprendre à utiliser l’énergie d’un groupe de travail qui essaie de solutionner un problème c’est une exigence de base pour un gestionnaire. Nous ne pouvons vraiment y arriver que si nous sommes en mesure de gérer efficacement nos propres conflits intérieurs.

Pour gérer une organisation dynamique, il faut songer que cette organisation pour se développer doit constamment apprendre. L’éducation permanente devient donc un des éléments de base de la vie des cercles de travail et une partie importante du travail du leader. Celui-ci doit être lui-même en processus de développement pour guider d’autres personnes sur cette même voie.

Un cercle sociocratique n’a pas seulement pour but de réaliser la mission de l’unité et d’améliorer son efficacité opérationnelle, il a aussi pour but de maintenir sa pérennité par l’éducation permanente de ses membres et du groupe lui-même. Le développement de la culture du groupe va pouvoir se faire par la réflexion en équipe et l’intégration sous forme de règles de fonctionnement des leçons tirées de la vie même du cercle.

Voici en résumé les comportements attendus de nos chefs dans les organisations sociocratiques en comparaison de ceux qui sont encouragés dans une organisation conventionnelle de type autocratique ou démocratique. Vous pouvez situer le management de votre entreprise sur le continuum suivant :


Les études sur les attentes des organisations face au leader de demain décrivent surtout les qualités présentées sur la liste de gauche. Pour accueillir ces leaders et leur permettre de s’exprimer, les organisations devront dépasser la seule formulation de ces belles attentes à l’endroit de leurs gestionnaires, elle devront changer leur mode de gouvernance.