La sociocratie, un mode de gouvernance pour le XXIe siècle ?

Après des siècles de pouvoir autocratique sur l’ensemble de la planète, l’avènement des démocraties semblait constituer une réponse satisfaisante au besoin d’émancipation et d’expression des peuples. Malheureusement, ce n’est bien souvent qu’illusion, car une fois élus, les dirigeants ont tendance à ne pas tenir compte des aspirations de la population et l’on constate bien souvent les mêmes dérives que dans les régimes autoritaires et les mêmes constats d’échecs: résultats économiques décevants, minorités ignorées, inégalités criantes, ascenseur social en panne, dirigeants coupés des populations sans parler de la tendance au clientélisme, à la corruption et parfois même à la xénophobie; et lorsque les choses s’aggravent, tendance à imposer un régime autoritaire. C’était vrai des démocraties dites populaires – qui ont pour la plupart disparu, tout du moins en Europe -, gangrénées par le centralisme et la bureaucratie. Ça l’est aujourd’hui des démocraties libérales, où l’idéologie dominante tente de condamner les citoyens acteurs au rôle de consommateurs serviles et les États-Nations à subir la loi des grands groupes économiques et de l’oligarchie de la finance internationale.

En face de ce constat, il nous paraît intéressant d’explorer le concept de sociocratie. De quoi s’agit-il? De mettre en place une structure qui redonne au monde une culture et fasse la promotion des valeurs à la base de la croissance humaine, rendant chacun épanoui, autonome et responsable. Autrement dit qui remette l’homme au centre en lui permettant d’exercer pleinement ses talents et d’apporter à tous les échelons, aussi bien individuellement que collectivement, sa pierre à l’édifice. Seule une structure de communication et de prise de décisions favorisant l’expression de la liberté et de la dignité humaine peut répondre à cette question.

Cette structure n’est pas à inventer, elle a toujours existé. Il suffit pour cela d’aller voir ce qui se pratiquait – ou se pratique encore – au sein de certains peuples autochtones. En particulier chez les Amérindiens. Leur mode de fonctionnement est à l’inverse de ce que nous connaissons dans notre société, où nous cherchons le plus souvent à régler nos problèmes en demandant assistance à l’État ou aux institutions, cette assistance impliquant des ressources toujours plus grandes; et qui, la plupart du temps, amplifient les problèmes au lieu de les résoudre à l’instar, lorsque nous évoquons nos problèmes de santé, des remèdes qui les causent ou les aggravent.

La culture amérindienne a intégré une notion essentielle qui semble nous échapper: une communauté est un tout, un ensemble de liens vivants interdépendants qui ne peut se développer et vivre harmonieusement que si chacun de ses membres trouve sa place et joue son rôle en interconnexion avec les autres. En cas de difficultés, personne n’est laissé sur le carreau avec l’idée, comme dans l’image de la chaîne, que la solidité du groupe est égale à celle du maillon le plus faible. Et le peuple s’inspire de grands principes universels se perpétuant de génération en génération: clarté des pensées dans le sens d’une plus grande paix, entreprise et succès avec l’aide des autres, respect du vivant, respect de la femme et entraide avec elle, travail au service de la communauté, action de grâces, rire et sens de l’humour, etc.

C’est de ces principes que s’inspire le concept de sociocratie. Auguste Comte a inventé le mot au XIXe siècle, Kees Boeke et Gerard Endenburg l’ont développé au XXe, le Québécois Gilles Charest(1), président de Sociogest et pionnier du développement organisationnel au Canada, en fait la promotion aujourd’hui. Il s’agit de privilégier le « Nous » plutôt que je « Je » et le « Tu ». En recherchant un langage commun, des méthodes communes de résolution des problèmes, des valeurs communes et des principes de vie partagés avec par ailleurs une vision du monde et un sens commun. En reconnaissant également le caractère vivant et systémique de toute vie sociale, le « Je » ayant besoin du « Nous » et inversement. Ce qui a pour conséquence implicite que dans tout système les éléments ne doivent pas se contrôler mutuellement, aucun d’entre eux ne devant imposer unilatéralement sa volonté aux autres, ce qui exclut d’office une structure purement hiérarchique; et que par ailleurs la structure doit pouvoir compter sur un apport extérieur qui lui apporte la source d’énergie nécessaire en cas de conflit interne.

La sociocratie est la gestion par consentement comme mode de prise de décisions, ce qui rend tous ses membres responsables de la conduite du groupe; ceci n’existe pas en démocratie où la minorité ne peut faire valoir ses convictions quand elles ne correspondent pas à celles de la majorité. Mais dans la pratique, comment fonctionne une structure sociocratique? En mettant en pratique trois règles de base: le consentement, le cercle de concertation et le double lien.

Le consentement implique qu’un groupe, une structure ou une équipe de travail ne peut prendre une décision destinée à orienter ou régir sa vie, son action ou son mode de fonctionnement que lorsque chacun des membres aura pesé le bien-fondé de cette décision et aura formulé les objections raisonnables à la proposition; qu’ensuite le groupe ait pris en compte ces objections et y ait apporté une réponse et ceci jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune objection; le but final étant de permettre de prendre conscience de l’impact de la décision sur chacun des membres, sur le groupe ou sur l’environnement dans les limites et le respect de chacun. La solidarité des membres qui impliquerait le renoncement de certains membres à faire valoir leurs points de vue n’est pas une valeur à retenir, car la liberté individuelle est à prendre en compte autant que l’intérêt collectif. A tous niveaux il ne doit y avoir ni gagnant, ni perdant. Le poids de la hiérarchie dans la prise des décisions ne doit pas être un critère pour juger de la qualité d’une décision.

Le cercle de concertation est le lieu de parole et de prise de décisions de chacune des équipes de travail et ceci à tous les niveaux. Pour exercer sa mission, atteindre ses objectifs, améliorer ses méthodes de travail et développer les compétences de ses membres, le cercle délègue à chacun de d’entre eux les fonctions opérationnelles correspondantes. La structure hiérarchique coordonnera l’action, mais c’est le cercle qui élaborera et prendra les décisions, à l’instar du « Conseil des Anciens » de nos vieux sages indiens pour qui « L’Univers était rond » tout comme les nids des oiseaux et qui considéraient que seule cette structure était adaptée à l’échange et au partage(2). Nous sommes évidemment dans une société décentralisée, et nous allons avoir des cercles imbriqués à plusieurs niveaux de la hiérarchie, chaque cercle exerçant son pouvoir dans les limites définies par le cercle supérieur. C’est autant un lieu de dialogue, de créativité et de résolution des conflits qu’un lieu de planification, de perfectionnement, d’éducation ou d’entraide.

Le double lien est le troisième maillon nécessaire pour que la structure fonctionne. Il fait la transition entre les différents cercles, chacun d’eux déléguant deux représentants qui vont siéger dans le cercle supérieur et assurer ainsi la coordination entre les deux structures. Ces deux représentants seront le chef hiérarchique du cercle inférieur et un autre conseiller de façon à garder un équilibre (symbolisant les deux pôles positif et négatif, ou si l’on préfère masculin et féminin…). Dans ce type de structure on remarque d’ailleurs que les femmes prennent plus naturellement leur place, sans qu’il soit besoin de développer un programme d’égalité des chances! Et par ailleurs, à l’inverse de ce qui se passe parfois dans certaines organisations de type revendicatif ou syndical, on remarque que sont souvent cooptées pour ces fonctions des personnes pondérées et responsables qui recueillent l’assentiment de tous et inspirent la confiance à tous les niveaux. L’esprit qui prévaut alors est davantage celui de l’unité et du respect – y compris de la hiérarchie – que de la concurrence et de la division. L’efficacité de la structure en ressort renforcée et les résultats obtenus sont souvent remarquables, en particulier dans le recrutement des collaborateurs, cooptés avec l’assentiment de l’ensemble du cercle. Les missions sont clarifiées, le contrôle des membres les uns par les autres n’est plus nécessaire, chacun a conscience de son rôle et est donc beaucoup plus motivé, avec une présence accrue à soi, aux autres et à l’environnement. Comme dans une structure vivante(3), si la communication est bonne et fluide, l’écoute respectueuse des autres et en phase avec l’intention commune, l’ensemble va trouver naturellement en lui-même et de façon harmonieuse les forces nécessaires à la réalisation de la mission. Dans cette confiance, les personnes n’auront pas peur de s’affirmer, de faire valoir leurs points de vue de manière constructive pour faire progresser les idées et parvenir à des solutions innovantes. Les conflits inévitables seront considérés positivement, car il ne s’agit plus de manifester son « ego » en ayant raison sur l’autre mais de participer, chacun à sa façon, par le jeu de la discussion constructive, à la réalisation de l’œuvre commune. Cela suppose évidemment parfois des renoncements, une attitude humble et peut constituer aussi le meilleur creuset du développement des qualités humaines de chacun pour le bien de tous.

Alors utopique la sociocratie? Pas si sûr, si nous évoquons l’exemple du Cirque du Soleil de Guy Laliberté, devenu en quelques années le premier cirque du monde avec réussite financière à la clé en adoptant ces principes grâce notamment aux conseils avisés de Gilles Charest et de son équipe. Il ne s’agit bien sûr que d’une entreprise, mais les principes de la sociocratie sont transposables à tous les niveaux, y compris aux instances politiques, ce qui suppose sans doute une évolution des structures vers des équipes plus réduites.

Nous n’avons évidemment pas la prétention d’affirmer que ce système, dont la philosophie rappelle naturellement les familles élargies de nos tribus indiennes, constitue la panacée pour l’avenir de nos sociétés. Le but est simplement d’ouvrir une piste d’avenir intéressante à l’heure où les « palliatifs » en tous genres ne semblent plus suffisants pour les sauver de l’asphyxie.

 

Michel Noyer*

noyer.michel@wanadoo.fr*

Après une longue expérience et un parcours classique en entreprise au sein de directions financières et des relations humaines, Michel Noyer, 61 ans, prend progressivement conscience de l’influence de la prise en compte des personnes dans l’entreprise sur l’efficacité professionnelle. Il accompagne aujourd’hui les dirigeants d’entreprise dans leur recherche d’efficacité par une approche globale des relations humaines.

 

  1. Auteur de plusieurs ouvrages dont: «La démocratie se meurt, vive la sociocratie»
  2. Dans notre tradition, les Chevaliers de la Table Ronde représentent cette idée.
  3. A l’instar du corps humain, dans une vision holistique où les organes communiquent bien entre eux, où la circulation du sang est fluide,etc..

 

Par Gilles Charest, Mba

SOCIOCRATIE ET QUALITÉ TOTALE

Qu’est-ce qui distingue la sociocratie des démarches dites de qualité totale ou intégrale ?

Plus de 80% des programmes d’amélioration de la qualité qui ont démarré en Europe et en Amérique depuis 1980 ne donnent pas les résultats escomptés. Pourquoi ? Ce n’est sûrement pas à cause d’un manque d’intérêt pour la qualité ou d’un manque d’outils techniques pour réaliser ces programmes.  À notre avis, deux raisons expliquent ces échecs.

Premièrement, ces programmes ne font pas réellement partie de la stratégie d’affaires de l’entreprise. Ils sont vus comme un moyen de se sortir d’une situation difficile telle qu’un marché qui s’effrite, des rendements qui s’amenuisent. La direction ne comprend pas, qu’avant d’être une technique, la Qualité est d’abord un état d’esprit. Elle se laisse alors séduire par l’outil et oublie, dans le feu de l’action, que cet outil exige un changement fondamental au niveau du mode de gouvernance.

Deuxièmement, dans la structure hiérarchique traditionnelle, les employés n’ont pas le pouvoir réel de s’améliorer.  La mise en place de cercles de qualité et de cercles de pilotage sont des tentatives maladroites pour remédier à ce problème. On aura beau créer toutes sortes de structures parallèles pour s’opposer au pouvoir de la ligne hiérarchique, tant qu’on n’aura pas compris qu’il faut changer la structure de communication et de prise de décisions, cette structure reprendra ses droits, à brève échéance, et annulera les effets temporaires de tout programme d’amélioration de la performance.

Une fois de plus, la structure traditionnelle, utile lorsqu’il s’agit de diriger l’entreprise, est inappropriée pour prendre des décisions qui impliquent tous les employés. Aucun des prétendus   programmes d’amélioration continue de la performance ne donnera les fruits escomptés si les règles de fonctionnement qui soutiennent les valeurs à la base de ces systèmes de gestion ne sont pas modifiées.

Le comportement des employés est bien moins affecté par les valeurs qui prônent l’importance   de la qualité des services que par les règles de fonctionnement souvent inconscientes qui conditionnent l’exercice du pouvoir.

On oublie trop souvent que derrière la Qualité à la japonaise, il y a le Kaisen, une philosophie de gestion qui encourage la participation et le contrôle de la production par les employés eux-mêmes.

L’amélioration réelle d’un processus exige que l’employé participe au contrôle de son activité, qu’il connaisse à fond tous les rudiments de celle-ci, les raisons de la faire et la valeur qu’elle ajoute au processus. Il faut aussi qu’il puisse réfléchir sur les moyens de l’améliorer, échanger sa perception aussi bien avec ses confrères qu’avec la direction, comparer ses résultats et, enfin, qu’il puisse influencer ce processus par ses suggestions et ses propositions.

Les 4 règles de la Sociocratie donne aux employés le pouvoir de s’auto-organiser en vue de prendre leur destinée en main. Dès qu’un groupe acquiert ce pouvoir que possède tout organisme vivant, c’est-à-dire celui de se développer et de se reproduire, il fait preuve d’une créativité surprenante pour concrétiser son idéal d’auto-organisation. Tout se passe comme si en s’inscrivant dans la nature du vivant, le cercle en empruntait tout naturellement le rêve. Il devient possédé par la fureur de se dépasser et d’aller toujours plus loin.  Il faut donc considérer le cercle sociocratique comme un pré requis culturel à l’implantation de la Gestion Intégrale de la Qualité.    En tout cas, c’est ce que les expériences en cours chez nos clients tendent à démontrer.

La Sociocratie nous apparaît donc comme pré requis à l’implantation d’une démarche d’amélioration continue. C’est une méthode de gestion qui part du principe suivant:  les employés vont s’impliquer dans une démarche d’amélioration continue si on leur garantit un pouvoir équivalent à celui des cadres et des actionnaires dans le processus décisionnel. La Qualité Intégrale, telle que vécue dans plusieurs organisations s’appuie sur un autre principe : les gens vont s’impliquer dans une démarche d’amélioration continue si on leur donne les connaissances techniques pour le faire. C’est faux. En fait, seul l’illusion d’un nouveau pouvoir peut les motiver pour un temps à s’embarquer dans ces démarches. Dans les faits, le pouvoir reste dans les mains des actionnaires et des gestionnaires.  Tôt ou tard, les employés le découvrent.

Voici une comparaison des deux approches pour aider le lecteur à saisir comment la sociocratie peut bonifier les approches qualité.

  • La qualité
  • 1. Mobilise l’intérêt sur les processus internes
  • 2. Met l’accent sur les techniques d’analyse de résolution de problèmes.
  • 3. Obsédé par l’excellence à tout prix.
  • 4. Exige une structure parallèle de gestion de la qualité.
  • 5. Développe une bureaucratie lourde et coûteuse.
  • 6. Se préoccupe des standards, des spécifications.
  • 7. Délègue la qualité à des groupes d’amélioration et à des experts
  • 8. Ne demande pas de changements dans le mode de gouvernance et n’induit pas de changement significatifs dans le rapport du capital et du travail
  • 9. Ne requiert pas de changements dans le système d’évaluation et de rémunération.
  • 10. Encourage la pensée magique, le recours aux recettes miracles et aux solutions rapides.
  • 11. Fait appel à la raison avant tout.
  • La sociocratie
  • 1. Mobilise l’intérêt sur les résultats externes
  • 2. Met l’accent sur le développement des habiletés de communication.
  • 3. Déterminé à bien faire la bonne chose.
  • 4. Intègre la Qualité aux opérations de l’unité de travail.
  • 5. Encourage la simplicité et la souplesse.
  • 6. Se préoccupe des besoins du client.
  • 7. Délègue la responsabilité de la Qualité au cercle sociocratique.
  • 8. Exige un changement dans le mode de gouvernance et change à terme le rapport entre le travail et le capital
  • 9. Requiert un changement significatif dans le système d’évaluation et encourage le partage des profits.
  • 10. Valorise l’engagement, le courage, la confiance et l’amour du travail.
  • 11. Fait appel aussi à l’intuition.

Par Gilles Charest, Mba,
9 novembre 2005

LE FEU ORANGE DE LA SOCIOCRATIE

Le système automatisé des feux de circulation est universellement reconnu pour contrôler le trafic routier de nos villes. Difficile d’imaginer aujourd’hui le transport urbain sans ce système ! S’il est pratique pour gérer le trafic routier, peut-il nous instruire sur le mode de gouvernance à adopter dans la vie sociale en général ? La question n’est pas saugrenue !

Selon vous, lequel des trois feux : le rouge, l’orange et le vert est le plus utile pour diriger la circulation routière ?

Le rouge donne une indication claire aux conducteurs : « non », « défense de passer. » Le vert est tout aussi précis : « oui », « circulez. » L’orange, lui, se distingue. Il est équivoque. Son signal laisse place à interprétation quant à circuler ou s’arrêter : « peut-être que oui, peut-être que non ? »

Malgré son caractère équivoque ou plutôt grâce à cette caractéristique, il empêche le chaos qui ne manquerait pas de survenir si les deux autres feux opéraient sans lui. Imaginez ce qui pourrait arriver si ce temps de passage entre le feu vert et le rouge n’existait pas !

Le feu orange est l’antidote au caractère univoque, autoritaire et potentiellement dangereux des deux autres feux. Il offre au conducteur un espace de liberté qui lui permet de faire un choix: « j’ai le temps, je passe avant le feu rouge ou bien non, je n’aurai pas le temps, je m’arrête. »

Chaque fois que nous croisons un feu orange, nous devenons immédiatement plus attentifs aux autres conducteurs car, dans cet espace-temps précis, d’autres peuvent faire des choix conflictuels au nôtre. Le feu orange a un caractère civique. Il oblige à la politesse, au respect de l’autre, car dans cet espace-temps tous les conducteurs ont un pouvoir équivalent. L’ignorer peut être fatal.

La gouvernance de nos organisations

Dans nos organisations, le mode prédominant de gouvernance est modelé sur le système binaire bien connu en cybernétique (0 / 1). Nous gérons donc la vie de nos sociétés avec deux feux seulement : le rouge ou le vert. Le feu orange n’existe pas de façon formelle. Les structures pyramidales dans lesquelles nous travaillons et nous interagissons nous offrent peu ou pas du tout la possibilité de nous rencontrer dans un espace-temps où tous les participants auraient un poids réellement équivalent dans le processus de prise de décision. Ce sont avant tout des structures d’exécution. Elles ne sont pas conçues pour la prise de décision sur une base d’équivalence.

Dans une structure d’exécution, c’est le chef hiérarchique qui a légalement le dernier mot et conséquemment le pouvoir d’ignorer les autres membres de son groupe au moment de prendre ses décisions. Qu’il prenne ses décisions de façon autocratique ou démocratique, pour l’essentiel, cela ne change rien. Dans tous les cas de figure des personnes, que la décision touchera directement, pourront être écartées du processus décisionnel.

Dans la structure pyramidale de nos organisations, nous n’avons généralement pas d’autres choix que d’obéir au feu rouge ou vert du patron. Le chef hiérarchique est lui aussi soumis au feu rouge ou vert de son propre patron et ainsi de suite, en remontant la chaîne de commandement jusqu’aux actionnaires, qui eux détiennent le pouvoir ultime en vertu d’une convention légalement acceptée voulant que le droit de propriété octroie à son détenteur le contrôle absolu des deux feux : le rouge et le vert. Dans les organisations associatives et les coopératives, conformément à la loi, c’est le mode démocratique de prise de décision qui prévaut avec les mêmes prérogatives du chef hiérarchique et les mêmes conséquences sur la vie sociale également.

Cet état de fait explique à lui seul pourquoi les décisions sont inévitablement aspirées vers le sommet de la pyramide organisationnelle. Ce phénomène est le propre des systèmes tyranniques de gouvernance qu’ils soient autocratiques ou démocratiques.

La gouvernance de soi

Accuser l’organisation sociale déficiente de tous les maux qui nous frappent c’est adopter la thèse un peu réductrice du « bon sauvage » de Jean-Jacques Rousseau : « l’homme naît bon, la société le corrompt. » Si nous acceptons de vivre dans des organisations despotiques, force nous est de reconnaître que ce mode de gouvernance trouve un écho favorable en nous. C’est nous qui avons créé cet état de fait. Nous avons tous une part de responsabilité dans cette histoire.

Qu’il nous suffise d’écouter notre langage intérieur pour mesurer l’intensité des luttes de pouvoir que se livrent d’un côté nos interdits sociaux intériorisés et de l’autre nos désirs égoïstes :

Tu ne peux pas faire ça, ce n’est pas bien ! Je te l’interdis. »

Je m’en fiche. J’en ai envie. Va te faire cuire un œuf ! Tu me déprimes, snif, snif, snif. »

Où est le feu orange qui peut réconcilier ces deux tyrans et résoudre nos conflits internes ? D’un côté, des programmations inconscientes héritées de notre passé tentent de nous imposer un mode de vie irrespectueux de nos besoins. De l’autre, des réactions impulsives également inconscientes organisent un système de défenses, tantôt sur le mode de la fuite, tantôt sur celui de l’attaque, qui ne satisfait pas davantage nos vrais besoins. À ce stage de désorganisation interne, nous errons ballottés d’un tyran à l’autre, déconnectés de nos besoins réels, ce qui explique largement pourquoi nous avons du mal à reconnaître ceux des autres.

Créer un espace-temps intérieur où nous pourrons gérer consciemment le droit de parole de ces deux aspects de nous-mêmes pour répondre de façon créatrice aux besoins qu’ils défendent, voilà le travail à faire pour rester aux commandes de sa vie et être heureux. Pour y arriver, nous avons donc besoin d’ajouter aux lumières de nos réflexes intellectuels et de nos réactions émotives, la lumière orange qui laisse place au leadership du cœur. Alors seulement peut s’édifier en chacun de nous l’idéal de civilité, de liberté et de dignité humaine auquel nous sommes en droit d’aspirer.

Individu et société : la réconciliation

La poule ou l’œuf ? Par où commencer ? Faut-il d’abord organiser la vie sociale pour atteindre le bonheur personnel ou faut-il mettre de l’ordre dans nos vies avant d’organiser la société de façon appropriée ?

Encore là, nous voila pris entre deux feux et pour trancher la question, il nous faut l’éclairage d’un troisième. La réponse n’est pas univoque. Il faut à la fois organiser la gouvernance de nos vies et celle de nos organisations. Nous sommes des êtres sociaux, ce qui signifie que nos tentatives pour être heureux vont tôt ou tard se heurter à la réalité sociale et inversement, nos engagements sociaux, s’ils sont menés avec cœur, vont nous mener tout droit sur le chemin de la transformation personnelle.

Les valeurs à la base de la croissance individuelle ne sauraient être en opposition avec celles de la vie en société. Notre destinée individuelle et collective obéit à une même éthique. Le projet de l’individu de vivre libre sera contrecarré par le groupe auquel il appartient tant et aussi longtemps que le mode de gouvernance qui le régit ne rendra pas tous les membres directement responsables de la conduite du groupe.

La sociocratie n’est pas un remède-miracle qui fait disparaître par enchantement tous les problèmes individuels et sociaux. Ce mode de gouvernance propose des changements exigeants. Il ne supprime pas les tensions sociales, ni les conflits intra-personnels. Il invite à y faire face par le travail sur soi en même temps que sur l’organisation de la vie en société. Il propose de créer des lieux d’expression de tous les points de vue et offre une méthode pour faciliter leur intégration de façon créatrice et pratique. Cela se réalise parfois dans la souffrance, parfois dans la joie mais toujours avec l’intention arrêtée de respecter les besoins de tous et partant le mouvement de la Vie.

Le mode de gouvernance, sociocratique propose de faire, à même la structure organisationnelle existante, l’ingénierie de lieux d’appartenance et de liberté où enfin l’individu et la société pourront chercher et trouver un terrain de réconciliation.

Adam Smith nous a convaincu qu’en situation de concurrence, l’intérêt individuel débouche nécessairement sur le bien commun. Sa théorie économique est forcément incomplète. Comment l’égoïsme de quelques-uns pourrait-il servir l’intérêt général ? Elle a d’ailleurs été mis en pièce par les travaux de John Nash, prix Nobel d’économie en 1994. Ce dernier a démontré mathématiquement que pour obtenir un rendement optimum, les membres d’un groupe doivent non seulement tenir compte de leurs intérêts individuels mais aussi de ceux du groupe. Nous ne mesurons pas encore aujourd’hui toutes les implications de cette démonstration scientifique sur l’organisation de la vie en société.

En conclusion, je vous invite à considérer cette citation d’Abraham Lincoln : « Nul n’est assez vertueux pour diriger une autre personne sans son consentement. » Elle résume assez bien l’idée-phare qui éclaire le modèle de gouvernance sociocratique.

Par Gilles Charest, Mba

À quoi sert le second lien dans le modèle de gouvernance sociocratique ?

C’est l’élément qui garantit la santé de toutes les unités de travail car grâce à lui, toutes les tensions de l’organisation peuvent être recyclées pour maintenir un fonctionnement optimal de celle-ci.

Pour comprendre le rôle de second lien, il est utile de se référer à la théorie des systèmes dynamiques.

Rappelons qu’un système s’autorégule quand les éléments du système collaborent à la réalisation d’un but commun, qu’ils ne se contrôlent pas les uns les autres et qu’ils restent ouverts aux feedbacks de l’environnement. Ces principes servent de fondements à la méthode des cercles sociocratiques.

Orientation, exécution, mesure

Dans tout système dynamique, il y a une partie du système qui donne une impulsion, une direction au système. On peut tout aussi bien dire que cet élément dirige le système. Dans la structure organisationnelle classique c’est le chef hiérarchique qui joue ce rôle.

Une autre partie du système exécute les orientations, les directives émissent par le leader. Dans la structure organisationnelle classique, les collaborateurs jouent ce rôle.

Finalement, dans un système dynamique une troisième partie du système sert de régulateur, de mesure pour maintenir le système dans les limites optimales de son bon fonctionnement. C’est ici qu’entre en jeu le rôle du second lien. Ce rôle n’existe pas dans la structure organisationnelle classique.

Relations et jeux de pouvoir

Le rôle le plus important du second lien est d’aider à sortir des jeux de pouvoir et des tensions organisationnelles improductives qui minent l’énergie et la créativité des collaborateurs à tous les niveaux de la structure.

Dans la structure classique d’exécution, les relations chefs – collaborateurs sont propices aux jeux psychologiques de pouvoirs et ce, tant au sein des équipes qu’entre les niveaux hiérarchiques.

Dans le feu des opérations, il arrive qu’un collaborateur se sente bousculé, dominé par un collègue ou par son patron. Les jeux de pouvoir prennent naissance à l’occasion de ces incidents que l’on considère souvent comme anodins.

Une personne se sent blessée et développe secrètement à l’égard de la personne qui l’a froissé un sentiment de victime. Si l’incident n’est pas relevé et traité ouvertement, la victime risque tôt ou tard de chercher inconsciemment dans son environnement un confident qui reconnaîtra que la personne qui l’a blessé est bel et bien un bourreau ce qui le confortera dans son rôle de victime. Alors commence entre les protagonistes le jeu bien connu du bourreau, de la victime et du sauveur.

Ce jeu se joue également entre les niveaux hiérarchiques. Un collaborateur se plaint de la maltraitance d’un collègue d’un autre département. Son chef endosse sur le champ le rôle de sauveur et court défendre son collaborateur auprès de son chef hiérarchique. Dans le pire des cas, il prendra soin de ne pas dévoiler la source des doléances dont il se fait le porte-parole en invoquant à tort le sceau de la confidentialité nécessaire, selon lui, pour éviter les représailles de l’autre département envers ses propres collaborateurs.

Le chef hiérarchique est à son tour pris dans le jeu. Entre le chef sauveur qui défend ses collaborateurs et le prétendu bourreau de l’autre département qui les maltraite on contraint le grand chef à jouer le seul rôle qui reste, celui de la victime. En effet, le chef hiérarchique devient une victime impuissante parce que les informations qu’il reçoit sont filtrées par le porte-parole de celui ou celle qui se sent laissé. Il n’a pas accès direct à la personne prétendument maltraitée. S’il reste coincé dans cette relation unidirectionnelle à l’alternat il est forcé de prendre parti à l’aveuglette. Il est prisonnier de cette relation.

Sortir les jeux de pouvoir

Pour sortir des jeux de pouvoir, il faut sortir des relations unidirectionnelles et déposer le problème relationnel au milieu du cercle des personnes impactées par le différend.

C’est là que la structure permanente des cercles sociocratiques révèle tout son potentiel. Le conflit qui ne peut se résoudre à un niveau de la structure doit impérativement être porté au niveau supérieur. C’est la règle en sociocratie.

Dans ce cas, le second lien représente, au niveau supérieur, les doléances exprimées dans son cercle. Le chef est ainsi délivré du rôle de sauveur et peut, au sein du cercle, s’exprimer au même titre qu’un autre participant.

La fonction de second lien confère au cercle la responsabilité de porter au niveau supérieur les tensions qu’il ne peut pas résoudre. Les collaborateurs sont donc invités à ne pas se cacher derrière leur leader et ce dernier à ne pas jouer le rôle de porte-drapeau.

Régulation sans jugement

Si on traite dans un cercle les différends relationnels, ce n’est pas pour juger les personnes impliquées, mais bien pour les aider à sortir des jeux de pouvoir qui plombent l’énergie du groupe.

Derrière tout conflit, il y a des besoins non satisfaits. La communication en cercle va faire émerger ces besoins ce qui va permettre aux antagonistes de se rencontrer et de renouer des liens de coopération dans la satisfaction de ces besoins légitimes.

Une stratégie d’évitement

Il n’est pas rare que certains gestionnaires, pour éviter de traiter un conflit ou un différend dans les cercles, prétendent que les seconds liens sont trop fragiles et qu’on va les mettre en difficulté si on leur expose les tensions qui existent entre les collaborateurs.

On est en droit de se demander quels avantages ces gestionnaires tirent-ils de cette prétention. Ce zèle à vouloir protéger le prétendu faible n’est-il pas une façon de poursuivre plus subtilement les jeux de pouvoir: bourreau, victime sauveur ?

Souvenons-nous que le second lien est élu sur la base du consentement des membres de son cercle et que ces derniers n’ignorent ni les exigences du poste, ni les qualités et les limites de celui ou celle qu’ils ont nommé à ce poste.

Nous croyons au contraire qu’en faisant confiance aux seconds liens imparfaits, les gestionnaires eux-mêmes imparfaits se posent en équivalents, position psychologique qui invite à des comportements responsables de la part de tous. Si certains seconds liens venaient à se positionner comme non équivalents aux autres membres cette posture psychologique devrait faire l’objet de discussion avant même qu’on aborde la problématique du conflit soumise au cercle.

Sensible aux tolérances de chacun le cercle va traiter le différend dans les limites de ses moyens. S’il ne peut résoudre la question, il a toujours la responsabilité de porter la question au niveau supérieur.

Être en mesure, en tout temps et en toute sécurité, de soumettre nos décisions à une instance supérieure est le fondement même de l’esprit citoyen et de la santé mentale.

De la même manière qu’un individu doit être en mesure, lorsqu’il vit des tensions internes, de faire appel à une instance supérieure (sa conscience) pour adopter un comportement éthique, de même les personnes en conflit dans la vie sociale doivent-elles être en mesure de soumettre leurs différends à une instance supérieure pour adopter un comportement socialement acceptable. Autrement, c’est la loi du plus fort qui prime !

Le rôle de chef

Dans un environnement sociocratique le rôle de chef est à la fois exigeant et enthousiasmant. Il est exigeant parce qu’il demande non seulement des habiletés et des connaissances pour diriger l’exécution des tâches, mais également de grandes qualités pédagogiques pour accompagner les individus dans les apprentissages qu’ils ont à faire pour vive et travailler ensembles.

C’est pour cette raison que le chef sociocratique lui aussi accepte d’être en processus d’apprentissage permanent.

Ce rôle est enthousiasmant car le projet de son organisation se confond avec son projet de vie. Ce qui faisait dire à un de mes amis, chefs d’entreprise, à qui on demandait pourquoi à 70 ans il ne prenait pas sa retraite : « j’ai pris ma retraite depuis très longtemps. Je l’ai prise quand j’ai commencé à travailler. En fait, je ne travaille pas, je vis ma vie intensément et j’apprends chaque jour ».

Par Gilles Charest, Mba

La rapidité des changements technologiques, sociologiques et politiques exige de nouveaux réflexes, de nouvelles habiletés chez les managers.

Si nous regardons les changements qui ont frappé nos organisations depuis une vingtaine d’années : déconcentration, fusion, libéralisation des marchés, compétition pour la compétence à l’échelle mondiale, la révolution des technologies de l’information, et tous les changements que nous anticipons compte tenu de l’évolution démographique et des bouleversements anticipés à l’échelle de la planète, l’efficacité de nos entreprises, plus que jamais, demeure intimement liée à la qualité des relations qui existent entre les gens qui vivent et travaillent ensembles.

Notre impuissance à gérer le changement efficacement origine de notre tendance à penser et à structurer nos organisations de façon linéaire. La plupart des entreprises n’utilisent que la structure hiérarchique traditionnelle comme outil déterminant de communication et de prise de décision. Dans le contexte d’une organisation qui se veut dynamique, cette structure utile pour exécuter une décision est tout à fait inappropriée pour les prendre. Elle induit tout naturellement la relation maître-esclave, supérieur subordonné, dominant dominé et ce type de relation rend très difficile, voire impossible, le contrôle des systèmes humains.

La rigidité, la méfiance, le ressentiment et l’apathie générale, que génère la structure hiérarchique traditionnelle, brouillent les communications nécessaires pour un ajustement rapide aux exigences d’un environnement turbulent.

Les pressions exercées par la direction pour s’adapter aux changements aspirent toutes les décisions vers le haut de la pyramide. Le processus de décision se complexifie et les gestionnaires deviennent débordés par la tâche. Ils s’impliquent de plus en plus dans des décisions qui pourraient être facilement prises plus bas dans la structure, ce qui conduit à plus de résistance et de rigidité de la part des employés à qui les gestionnaires font de moins en moins confiance.

La solution n’est pas dans les formations des individus pour les aider à réduire leur stress, les beaux discours sur les valeurs et toutes les autres mesures de compensation. Il nous faut reconnaître la cause de cet état de fait et changer la structure de prise de décision.

Pour modifier les relations entre les individus, il faut changer les règles qui les établissent, sans quoi nous répétons constamment les mêmes erreurs et les solutions imaginées sont toujours du même type : elles encouragent le schéma de relation maître esclave.

Viser l’auto organisation

La création dans une organisation d’une structure en cercles sociocratiques permet le contrôle de l’organisation sur la base d’un nombre beaucoup plus petit de paramètres. En d’autres mots, la délégation devient possible. Pourquoi ? Parce que nous donnons l’opportunité aux membres du cercle de s’organiser par eux-mêmes.

Quand les travailleurs peuvent s’organiser par eux-mêmes, il est plus facile de leur déléguer des responsabilités car ils sont beaucoup plus enclins à prendre des initiatives.

Le mode de décision sur la base du consentement des membres et les autres règles du mode sociocratique de gouvernance va permettre cette auto-organisation. Les gestionnaires doivent apprendre à faciliter ce prise en charge de leurs employés en leur permettant de s’exprimer et de participer avec les autres à l’organisation du travail.

Comme dans les systèmes physiques, l’auto-organisation des systèmes humains requiert l’équivalence des éléments constitutifs. Les atomes dans un laser doivent être dans un état d’équivalence chimique, ce qui signifie qu’ils ne doivent pas être liés à d’autres éléments si nous voulons qu’ils s’organisent d’eux-mêmes. Cette équivalence dans les systèmes humains doit être garanti par le processus de prise de décision. Nous ne sommes pas égaux pour ce qui est des talents et du potentiel, certes, mais le consentement comme base de prise de décision nous donne un pouvoir égal. (L’égalité entre les êtres humains est d’ordre spirituel. Elle est liée à notre capacité de faire des choix.)

L’étude des systèmes auto-organisés nous indique la voie à suivre. John Nash, prix Nobel de l’économie en 1994 a démontré mathématiquement les lois qui président à ce qu’il a nommé la dynamique de l’univers. Contestant le postulat d’Adam Smith qui prétend que dans un contexte de compétition, les intérêts des individus servent l’intérêt collectif, John Nash a démontré que pour un rendement optimum, les individus d’une équipe ne devaient pas seulement s’intéresser à leurs intérêts personnels mais aussi à ceux des autres.

Quand on donne un pouvoir équivalant à chaque membre d’une équipe (groupe d’individus entretenant des liens significatifs entre eux), cette équipe va s’orienter de façon intuitive vers la solution des problèmes qui l’empêche d’opérer d’une façon optimum. Chaque individu sera non seulement en mesure de voir à son intérêt personnel, mais il devra tenir compte également pour satisfaire ses besoins de l’intérêt collectif.

Le meilleur style de gestion : être soi-même

Nous accordons, aujourd’hui, une grande importance aux styles de gestion. Nos aspirations pour un mode de gestion qui respecte davantage la nature humaine nous a fait mettre beaucoup de pression sur les gestionnaires pour qu’ils adoptent un style plus participatif de gestion. Mais est-ce possible tant et aussi longtemps que nous ne changerons pas la structure de prise de décision de l’organisation? Nous ne le croyons pas.

La question n’est pas de savoir si, en tant que gestionnaire, je suis 9,1 ou 9,9, autoritaire ou permissif. Il faut donner au gestionnaire un espace pour expérimenter le style de leadership de son choix. Dans une structure organisationnelle qui valorise les principes de gouvernance sociocratique et conséquemment adopte les règles de communication et de prise de décision conséquente, le style de gestion du manager est de moindre importance parce que nous sommes certains qu’il va recevoir le feedback approprié si les gens n’aiment pas ce qu’il fait.

Ce modèle d’organisation ne requiert pas de la part du manager de se conformer à un style à la mode dans le but de faire croire à ses employés qu’ils participent aux décisions. Ils ont de toute façon le pouvoir de décider. Ce qui devrait le libérer du conditionnement social ambiant et lui permettre lui aussi être lui-même.

Essayer de changer les gestionnaires ne nous guérira pas de notre frustration de ne pas nous sentir partie prenante des décisions qui nous concernent. Éliminer cette frustration ne demande pas seulement un changement de style de gestion mais un changement des modes de fonctionnement.

L’organisation qui apprend

Gérer une organisation qui permet à ses membres de se prendre véritablement en main requiert de la part du gestionnaire de nouvelles habiletés.

L’apprentissage de la gestion des systèmes dynamiques s’apprend d’abord par la gestion de sa propre vie. Les lois naturelles qui régissent le développement des organisations ne peuvent vraiment s’acquérir que par l’expérience personnelle.

Lorsque nous laissons les gens prendre eux-mêmes les décisions qui les concernent, il faut s’attendre à ce que, dans les cercles de travail, il y ait des tensions. Apprendre à utiliser l’énergie d’un groupe de travail qui essaie de solutionner un problème c’est une exigence de base pour un gestionnaire. Nous ne pouvons vraiment y arriver que si nous sommes en mesure de gérer efficacement nos propres conflits intérieurs.

Pour gérer une organisation dynamique, il faut songer que cette organisation pour se développer doit constamment apprendre. L’éducation permanente devient donc un des éléments de base de la vie des cercles de travail et une partie importante du travail du leader. Celui-ci doit être lui-même en processus de développement pour guider d’autres personnes sur cette même voie.

Un cercle sociocratique n’a pas seulement pour but de réaliser la mission de l’unité et d’améliorer son efficacité opérationnelle, il a aussi pour but de maintenir sa pérennité par l’éducation permanente de ses membres et du groupe lui-même. Le développement de la culture du groupe va pouvoir se faire par la réflexion en équipe et l’intégration sous forme de règles de fonctionnement des leçons tirées de la vie même du cercle.

Voici en résumé les comportements attendus de nos chefs dans les organisations sociocratiques en comparaison de ceux qui sont encouragés dans une organisation conventionnelle de type autocratique ou démocratique. Vous pouvez situer le management de votre entreprise sur le continuum suivant :


Les études sur les attentes des organisations face au leader de demain décrivent surtout les qualités présentées sur la liste de gauche. Pour accueillir ces leaders et leur permettre de s’exprimer, les organisations devront dépasser la seule formulation de ces belles attentes à l’endroit de leurs gestionnaires, elle devront changer leur mode de gouvernance.

Par Gilles Charest, Mba 

Questions et réponses

La question de la délégation et du partage du pouvoir crée des mots de tête à de nombreux dirigeants. Ce problème pourrit les relations humaines en milieu de travail. Il met souvent en péril le développement des organisations parce qu’il en chasse des individus capables et expérimentés qui n’y trouvent plus d’espace pour continuer d’évoluer et faire valoir leurs talents.

Q. ___ Avez-vous déjà entendu ce type de remarques de la part de dirigeant et de gestionnaire ?

Le dirigeant
« Dois-je me fermer les yeux et laisser mon directeur poser des gestes qui m’inquiètent pour l’avenir de l’organisation ? Moi à sa place, je ne ferais pas les choses comme ça ! Il me semble que mon expérience a de la valeur, pourquoi ne vient-il pas me consulter plus souvent ? Depuis que je l’ai nommé directeur, je n’ose plus lui parler de ce que j’observe sur le terrain de peur qu’il le prenne mal. Est-ce que j’ai bien agi en le nommant à ce poste ? Peut-être qu’il n’a pas tout ce qu’il faut pour faire le job ? »…

Le gestionnaire
« Il m’a confié la direction de cette unité, mais chaque lundi matin, il me rencontre avec sa liste de critiques sur les comportements de mon personnel et particulièrement sur ceux que je viens d’embaucher. Il veut du changement, mais je ne peux rien bouger. » « Chaque fois que je propose de faire les choses différemment, il hésite et remet à plus tard les décisions qu’il doit prendre pour m’aider à réaliser mon mandat. Ce n’est plus vivable. J’étouffe ! »

R. ___ C’est une histoire classique écoutée aux portes des légendes du merveilleux monde de la vie organisationnelle contemporaine… Rien là de vraiment étonnant. Dès que nous sommes deux personnes et que nous avons des tâches à exécuter ensemble, la question du pouvoir se pose : qui dirige et comment allons-nous prendre nos décisions ? Nos ancêtres des temps préhistoriques ont dû répondre à cette question pour organiser leur vie en commun. Rien ne nous laisse à penser qu’ils avaient moins de difficultés que nous à ce chapitre.

Q. ___ Pourquoi la délégation de pouvoir est-elle si compliquée ?

R. ___ Parce que la passation des pouvoirs d’un individu à un autre exige des parties la réévaluation des stratégies qu’ils utilisaient avant cet événement pour satisfaire leurs besoins légitimes. Les anciennes habitudes de travail ne sont plus possibles et les nouvelles ne sont pas encore établies.

Q. ___ Quels sont les besoins auxquels vous référez ?

R. ___ Dans la période qui suit la délégation des pouvoirs, les besoins du dirigeant sont : le besoin d’être rassuré quant à l’évolution des choses, le besoin de rester en lien et associé aux réussites et aux difficultés de son collaborateur ainsi que le besoin de se sentir, dans son nouveau rôle, un contributeur significatif de l’organisation. Les besoins du gestionnaire sont pour sa part : le besoin d’un espace de liberté pour agir, le besoin d’appui pour réaliser ses engagements, le besoin de clarté quant aux attentes du dirigeant, le besoin de reconnaissance de sa contribution dans l’atteinte des objectifs communs.

Faits, émotions, besoins, demandes, ententes

Q. ___ Ces besoins sont légitimes et incontestables. Pourquoi donc est-ce si difficile de s’en parler ouvertement ?

R. ___ Parler ouvertement de nos besoins exige une grande lucidité et beaucoup de maturité. La plupart du temps nous ne sommes même pas conscients de nos besoins. Les événements nous bousculent et nous réagissons impulsivement sans prendre le temps de nous demander ce que nous voulons exactement. Dans des moments aussi importants et intenses que celui de la délégation de pouvoir, la précipitation risque de nous entraîner dans une suite de malentendus qui brouillent les communications.

Q. ___ Comment éviter ce piège ?

R. ___ Il faut savoir une chose : nos besoins affectent nos perceptions. Par exemple, si vous aller faire votre marché affamé, vous allez acheter avec plus d’entrain et dépenser beaucoup plus que si vous y allez après avoir bien mangé. Votre faim vous stimule. Votre besoin insatisfait aiguise votre perception des bonnes choses et vous pousse à l’achat impulsif. Pour prendre conscience de nos besoins, il nous faut faire le chemin inverse consciemment. Donc, partir de nos perceptions de la réalité pour remonter à nos besoins.

Q. ___ Cela semble logique, pourquoi est-ce si difficile ?

R. ___ Cet exercice n’est pas facile car, dès le point de départ, notre perception des faits prend rapidement la couleur de nos interprétations. Par exemple : mon patron me pose des questions concernant une décision que je m’apprête à prendre et j’interprète qu’il veut m’imposer son point de vue. Ce n’est peut-être pas le cas, mais c’est le procès d’intention que je lui fais tout de même. Mon comportement se conformera à mon interprétation des faits. Les conséquences sont évidentes.

La première difficulté à surmonter pour reconnaître ses besoins c’est de distinguer les faits des interprétations que nous en faisons.

Q. ___ Y a-t-il d’autres difficultés ?

R. ___ Et oui ! Il faut aussi réussir l’épreuve de la gestion de nos émotions. La réalité ou l’interprétation que nous en faisons fait impression sur nous et provoque des émotions.

Nos émotions nous renseignent sur l’état de satisfaction de nos besoins. Si je suis en colère, c’est que je n’obtiens pas satisfaction par rapport à mes besoins. Si je suis triste c’est que j’ai perdu une source de satisfaction. Si j’ai peur, c’est que j’anticipe la perte d’une source de satisfaction. Si je suis survolté et joyeux c’est que j’anticipe la satisfaction d’un besoin. Etc. Or, nous ne sommes pas à l’aise avec nos émotions surtout si elles sont désagréables et nous passons vite aux jugements qui accusent l’autre d’être la cause de ce que nous ressentons.

« Si mon patron questionne mes intentions, c’est bien sur parce qu’il ne fait confiance à personne. C’est un malade, un contrôlant obsessif, tout le monde le sait ! » « Si mon collaborateur ne me consulte pas, c’est parce qu’il s’est compromis auprès de son équipe et qu’advenant que je ne partage pas son point de vue, il ne veut pas perdre la face devant ses employés, c’est un orgueilleux. ! »

Vous avez là des exemples d’interprétation et de jugements qui distraient d’une réflexion consciente des besoins.

Une fois ces interprétations et jugements écartés, nos émotions vont nous renseigner plus clairement sur nos besoins et nous serons en mesure de faire à l’autre des demandes claires pour les satisfaire.

Q. ___ J’imagine que cette étape est relativement facile ?

R. ___ Pas vraiment. Une fois nos besoins identifiés, il reste une étape importante à franchir. C’est l’étape de la demande que nous confondons souvent avec exigence. Nous avons tendance à vouloir que les choses se passent comme nous le désirons. Nous confondons alors désirs et besoins. Un vrai besoin ne dépend d’aucune circonstance ni d’aucune personne spécifique, il est relié à notre être même. Nous avons tous besoin de sécurité, d’affiliation et d’influence.

Si nous arrivons à échanger au niveau de nos vrais besoins, les chances sont grandes que nous puissions nous comprendre et de trouver les moyens de les satisfaire. Quant à ces moyens, ils se doivent êtres négociés et non imposés d’où l’importance de la demande et non de l’exigence. Les négociations échouent toujours là où nos demandes ne sont que des exigences déguisées.

Il se peut que la personne à qui nous faisons notre demande ne consente pas à y répondre de la façon que nous le souhaiterions pour diverses raisons qu’elle sera alors capable de nous exposer. En restant ouvert aux besoins légitimes de l’autre et aux nôtres, il est rare que nous ne puissions pas trouver des moyens acceptables de satisfaire nos besoins mutuels.

Ce faisant nous entrons en relation de cœur à cœur sans jugement et sans interprétations. Nous sommes alors capables de nous mettre à la place de l’autre et d’éprouver la situation de son point de vue. Nous avons dès lors développé une grande qualité : l’empathie. C’est l’une des clés de la communication authentique et efficace. L’autre étant cet élan inné qu’on pourrait appeler la bienveillance intentionnelle ou l’amour et qui ne cherche en définitive que le bien véritable de l’autre. Encore faut-il rester vigilant pour que nos vieilles peurs et la méfiance qu’elle engendre n’étouffent pas cet élan.

Déléguer et partager le pouvoir oui, les responsabilités jamais !

Q. ___ Revenons au partage du pouvoir. Si nous pouvons déléguer à quelqu’un d’autre le pouvoir d’agir en notre nom, nous ne pouvons pas nous dégager de notre responsabilité quant aux conséquences des gestes que posera notre mandataire dans l’exercice de ce pouvoir. N’y a- t-il pas là un élément qui expliquerait la difficulté inhérente à la délégation de pouvoir ?

R. ___ En effet, déléguer et partager le pouvoir ne signifie pas abdiquer ses responsabilités. Pour éviter la confrontation, il est de ces dirigeants qui préfèrent se retirer et laisser toute la place à ceux qu’il mandate. Ils abdiquent parce qu’ils ne sont pas capables de concevoir assumer des responsabilités sans avoir le pouvoir de tout décider. En fait, ils sont très mal à l’aise de parler ouvertement de leurs vrais besoins. Ils préfèrent fuir ou dominer.

Le président d’une entreprise demeure responsable de tout ce qui se passe sous son administration. Il ne peut pas invoquer pour s’en dégager le fait qu’il a délégué à d’autre le pouvoir d’agir en son nom. Cela ne devrait pas l’empêcher de partager son pouvoir. Partager le pouvoir n’est pas synonyme d’y renoncer. Le pouvoir c’est comme l’amour, plus on le partage, plus on en a. Clarifier les champs de compétences

Q. ___ Une des stratégies pour faciliter la délégation de pouvoir n’est-elle pas de clarifier les champs de compétences des différents niveaux hiérarchiques ?

R. ___ C’est en effet une pratique utile d’autant plus qu’elle affirme une loi de l’organisation que l’on a tendance à associer faussement à de la dictature. Le but des niveaux hiérarchiques n’est pas d’établir la domination des instances supérieures sur les instances inférieures, mais d’améliorer la vision d’ensemble par l’élévation du point de vue. Plus on s’élève dans l’échelle hiérarchique d’une organisation, plus la vue d’ensemble s’élargie et plus, en revanche, la perception des détails s’estompe. Or pour la bonne marche d’une organisation, les décisions doivent tenir compte des deux points de vue : la vue d’ensemble pour orienter l’entreprise et la conscience des détails pour respecter les limites de l’organisation. Si l’exercice menait à cette seule compréhension, il en vaudrait la peine. Mais il est loin d’être suffisant.

Q. ___ Pourquoi dites-vous que la clarification des pouvoirs n’est pas suffisante pour régler le problème ?

R. ___ La clarification des champs de compétence est une photo, dans le temps, des contributions de chaque niveau hiérarchique à la réalisation de la mission de l’ensemble. C’est utile pour permettre à chacun de mieux saisir son rôle, mais c’est un cliché statique qui ne tient pas compte de la réalité dynamique d’une entreprise. L’environnement changent constamment ce qui oblige à des confrontations de points de vue et à des ajustements constants. Plus qu’une clarification des champs de compétences, c’est d’un mode de gouvernance dont il faut se doter. 5
Le mode de gouvernance sociocratique

Q. ___ Quel mode de gouvernance pourrait le mieux faciliter la délégation dynamique du pouvoir ?

R. ___ Nous connaissons le mode autocratique et le mode démocratique de prise de décision. Ces deux façons de faire excluent des membres du processus décisionnel. Ce qu’il faut, c’est un mode de gouvernance qui les inclut tous.

Les recherches sur l’efficacité organisationnelle ont démontré de façon constante depuis 40 ans que le facteur le plus important pour assurer le développement harmonieux d’une entreprise est le développement et le maintien d’un fort sentiment d’appartenance de ses principaux acteurs.

Ce sentiment d’appartenance se développe seulement si les acteurs de l’organisation peuvent participer aux décisions qui affectent la satisfaction de leurs besoins et avoir la garantie que leurs points de vue seront toujours pris en compte dans le processus de prise de décision.

Le mode de gouvernance qui garantie ces conditions s’appelle la sociocratie

Q. ___ La sociocratie, c’est un mot nouveau. Que signifie-t-il ?

R. ___ Le mot est connu depuis Auguste Conte. Il a fait son apparition en gestion dans les années 70. L’importance grandissante d’un mode de gouvernance éthique pour garantir en premier lieu la sécurité des investisseurs a popularisé ce mode de gouvernance. La notion que ce terme charrie s’exprime par l’association de deux mots : le premier, socio, du latin : « société » ; le second, cratie, du Grec : « pouvoir ». Le mot sociocratie signifie littéralement : le pouvoir de la société.

Q. ___ Doit-on parler de société quand on parle d’entreprise, d’organisation ?

R. ___ Pour une meilleure compréhension changeons le mot « société » par le mot équipe. Une équipe est une société à échelle réduite. Qu’est qui fait qu’un groupe devient une équipe, une société ? Un groupe d’individus qui attendent le prochain métro ne forment pas une équipe. Une équipe est un groupe de personnes qui non seulement tendent vers un but commun, mais entretiennent entre elles des liens significatifs et se donnent des moyens pour atteindre leur but.

Ici, le mot important est liens significatifs. Les gens qui font équipe sont normalement conscients de l’impact de leurs faits et gestes sur les autres et en tiennent compte dans leurs décisions. Dans ce sens, une organisation est en santé quand l’idéal qu’elle poursuit vit dans ses membres et que grâce aux liens qui les unissent les talents de chacun sont reconnus et utilisés pour l’atteinte de cet idéal. Sans ces liens qui forment le tissu social d’une organisation, toute équipe, toute entreprise, toute société sont vouées à leur perte.

Q. ___ Le mode de gouvernance sociocratique serait-il en mesure de favoriser le développement de l’esprit d’équipe et par le fait même d’amenuiser les difficultés reliées à la délégation et au partage de pouvoir ?

R. ___ Oui, le mode de gouvernance sociocratique, en donnant aux membres d’une équipe un poids équivalent dans le processus de prise de décision, favorise le maintien des liens significatifs nécessaires à l’esprit d’équipe. En fait, posons-nous cette simple question : qu’est-ce donc qu’une bonne décision ? Une décision n’est ni bonne, ni mauvaise en soi. Elle est bonne uniquement si elle tient compte des limites de ceux qui vont vivre les conséquences de cette décision. En fait, elle est bonne lorsqu’elle construit l’organisation en fortifiant les liens qui unissent ses membres et elle est mauvaise dans le cas contraire. Autrement dit : parlez-moi des liens qui vous unissent aux autres membres de votre organisation et je vous parlerai de la santé de votre entreprise.

Q. ___ Comment donc reconnaître les limites de ceux qui auront à vivre les décisions qui se prennent dans l’entreprise ?

R. ___ Le mode de gouvernance, sociocratique propose à cet effet de prendre les décisions sur la base du consentement mutuel de ceux que la décision affecte. Explorer les objections de chacun va permettre d’établir les tolérances, les limites à l’intérieure desquelles la décision pourra être mise en œuvre.

Pour implanter le mode de gouvernance sociocratique, il faut créer des lieux de parole et de prise de décision qui n’existent pas dans nos organisations traditionnelles. La structure hiérarchique classique est une structure d’exécution. Bien qu’indispensable pour coordonner l’action, elle n’est pas faite pour y prendre des décisions stratégiques. Dans cette structure, les individus n’ont pas un pouvoir équivalent.

La sociocratie propose de créer ces lieux de prise de parole en les superposant à la structure d’exécution classique. Nous appelons ce complément de structure : le cercle de concertation. Pour la constitution des cercles de concertation et leur fonctionnement, je vous réfère à d’autres écrits sur le sujet.

Q. ___ Dans le cadre du mode de gouvernance sociocratique comment le problème de la délégation du pouvoir a-t-il été résolus ?

R. ___ La sociocratie offre un moyen pratique et toujours disponible de résoudre le problème de délégation et de partage de pouvoir parce que tous les membres d’un cercle de concertation au moment de décider d’une orientation à prendre ont légalement le même poids dans le processus de prise de décision. Dans ce contexte, le chef devient l’exécutant des décisions du cercle et non pas le seul preneur de décision. Ce changement dans le mode de gouvernance confère à chacun la sécurité nécessaire pour exprimer ses besoins et négocier la satisfaction de ceux-ci dans le respect des limites de tous. La question de la délégation du pouvoir ne se pose plus vraiment puisque maintenant, il appartient à tous. La sociocratie ne supprime pas toutes les tensions organisationnelles. Elle donne à chacun et chacune les moyens de faire valoir leurs intérêts et de d’atteindre le bonheur. Le bonheur n’est pas toujours confortable, mais sa poursuite rend heureux.

Par Gilles Charest, Mba

Pendant que mondialement la course à la performance s’impose, la direction des hommes ; l’exercice de l’autorité et la communication humaine deviennent pour les chefs d’entreprises des préoccupations grandissantes. Ils se posent de plus en plus fréquemment cette question : comment recruter des collaborateurs compétents et s’assurer de leur fidélité ?

Nous savons l’importance du capital humain pour garantir le succès d’une entreprise, mais, au- delà des compétences techniques individuelles des membres d’un groupe, il faut reconnaître que c’est l’état d’esprit de l’équipe qui fait la différence. Comment créer et maintenir cet état d’esprit ? Voilà ce qu’un chef doit apprendre s’il veut recruter des collaborateurs efficaces et s’assurer de leur fidélité !

Un jour, un conseiller en recrutement qui voulait offrir ses services à la ligue nationale de hockey posa la question à un président et directeur général d’un club nouvellement arrivé dans la ligne : « quels sont vos critères pour recruter de bons joueurs ? » Il lui répondit : « quand je recrute un joueur, je cherche à savoir 3 choses. Est-il capable de jouer au niveau de la ligue nationale ? Est- il prêt à souffrir pour son équipe ? Veut-il travailler pour moi ? » Quelques années plus tard, ce club remportait les honneurs de la coupe Stanley. C’est encore aujourd’hui un club de premier plan !

Transposez ces questions dans votre contexte d’entreprise ! Si, pour chacun de vos collaborateurs, vous êtes en mesure de répondre sans aucune hésitation à ces trois questions par un OUI profondément ressenti, vous avez une équipe mobilisée et fidèle. L’ordre d’importance de ces questions va croissant !

Est-il, ou est-elle capable techniquement de faire le travail ?

C’est la question la plus facile à répondre. Il existe de nombreux tests pour apprendre à détecter les talents des personnes. On peut vérifier les références de l’individu. On peut le prendre à l’essai pour un temps de probation et l’observer en situation de travail. On peut vérifier ses diplômes et qualifications, son expérience, etc.

S’il est important qu’une personne possède les compétences techniques pour occuper une fonction, c’est l’exigence la moins importante des trois, discutées ici, pour créer une équipe performante. Les compétences techniques sont assez faciles à acquérir pour les individus et, à quelques exceptions près, elles sont généralement disponibles sur le marché du travail pour l’employeur.

Agit-il, ou agit-elle pour maintenir l’harmonie dans équipe ?

L’état d’esprit indispensable à un travail d’équipe efficace exige l’harmonie. Il faut que chacun se sente confortable dans l’équipe et que les échanges soient soutenus et fluides entre tous. Si la qualité des contacts entre les membres doit demeurer la responsabilité de tous les membres, elle doit faire l’objet d’une attention particulière de la part du chef s’il veut que son équipe fonctionne de façon optimale.

Est-ce que ce collaborateur est générateur d’harmonie ou de conflit ? Est-il prêt et capable, non pas de taire ses insatisfactions pour ne pas créer de tensions dans l’équipe, mais de régler ouvertement ses différends sans blesser inutilement les autres ? C’est un principe incontournable pour tout chef qui veut avoir une équipe performante. L’harmonie ne se négocie pas !

Comprenons-nous bien, la recherche de l’harmonie ne signifie pas vouloir créer un monde sans tension. Un monde sans tension, c’est la mort ! L’harmonie est moins reliée au niveau de tension qu’au rythme, à la cadence, à la fluidité des communications. La tension au sein d’une équipe est normale. Elle est créée par la volonté des membres d’accomplir la tâche. Un des rôles du chef est justement de créer cette tension nécessaire en rappelant les objectifs à atteindre et les problèmes à résoudre. La tension c’est l’énergie qui fait agir le groupe.

Dans le feu de l’action, par ailleurs, les différends et les conflits sont inévitables ! Chacun a sa personnalité, ses habitudes, ses connaissances, son code génétique, ses habiletés, sa vision du monde, son niveau de maturité, etc. Si la diversité est source de richesse, le choc des différences est souvent menaçant et met parfois en branle des mécanismes de défense qui occasionnent des crispations et des fermetures.

La vie d’équipe force le mouvement, oblige une oscillation constante entre ces deux pôles que sont l’ouverture aux autres et la protection de son territoire. Dans ce sens, elle exige des dépassements considérables parce qu’elle interroge constamment nos besoins les plus fondamentaux : être accepté, exercer de l’influencer et se sentir utile.

Comment demeurer moi-même et faire partie d’une équipe. Voilà la grande question ! Qui suis- je pour mon équipe ? Quelle est mon influence ? Quelle est mon utilité ? Ces questions demeurent pour chaque membre un souci de tous les instants. Qu’elles soient conscientes ou non, ces interrogations alimentent la dynamique d’une équipe et doivent être prises en compte parallèlement à la tâche que le groupe a convenu d’accomplir.

En aucun cas un chef doit tolérer qu’un membre de son équipe s’enferme dans son personnage pour éviter le contact et l’influence des autres. Si ce membre ne veut pas faire l’effort de sortir de sa coquille, le chef doit impérativement procéder au congédiement du membre qui, de toute façon, s’est déjà exclu psychologiquement de l’équipe par son comportement. S’il n’agit pas dans un délais raisonnable, il manque à son devoir. Il n’aide pas le membre concerné et contribue à perturber l’esprit d’équipe.

Accepte-il, accepte-t-elle de travailler sous mon autorité ?

C’est la question la plus importante qu’un chef doive se poser ? Encore faut-il que ce chef accepte vraiment d’exercer l’autorité que lui confère son rôle. C’est loin d’être évident pour plusieurs.

Accepter l’autorité de mon chef, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que je reconnais à mon chef la responsabilité de m’aider à évoluer au sein de notre équipe et qu’en tant que membre de cette équipe, non seulement j’accepte, mais je vais demander son aide.

Cela ne signifie surtout pas que mon chef est parfait et que je dois lui obéir aveuglément. Au contraire ! Cela signifie que je vais entretenir avec lui ou elle une relation équilibrée ou je vais donner et recevoir, je vais influencer et être influencé. S’il y a un déséquilibre dans le donner et le recevoir, il y a forcément disharmonie dans la relation et comme l’harmonie n’est pas négociable, une action urgente s’impose.

Parce que les êtres humains sont fondamentalement des esprits libres, à bien y réfléchir, diriger ne signifie rien d’autre qu’aider et collaborer signifie en premier lieu comprendre. Cette vision de la direction a le mérite de redonner au chef comme au collaborateur la responsabilité qui leur revienne. Ici nul besoin de dominer, d’humilier, de faire peur, de se défendre, de faire le dos rond ou de se révolter. Une saine relation entre le chef est le collaborateur est basée sur un contact respectueux entre personnes libres et responsables.

Accepter d’exercer son rôle de chef, d’aidant, suppose qu’on reconnaît avoir une certaine valeur. Si je n’ai pas confiance en moi, je ne pourrai pas aider quelqu’un à croire en ses talents. C’est évident ! Ce n’est pas parce qu’on a le titre de chef qu’on en est un. C’est un rôle qui s’apprend au fur et à mesure que l’on apprend à se connaître et à se reconnaître. La tâche de chef est donc avant tout une voie de développement personnelle.

Diriger c’est influencer. Le chef qui ne se retrouve pas dans le travail de son collaborateur ne remplit pas sa fonction. On juge un vrai chef sur sa capacité d’aider quelqu’un à se rendre utile (à réussir) dans un système plus grand que celui qu’il perçoit à première vue.

Pour plusieurs collaborateurs, ne pas avoir besoin des autres et particulièrement de son chef c’est faire preuve d’autonomie. C’est plutôt, à mon avis, un signe de grande faiblesse. Demander l’aide dont on a besoin est un acte responsable qui demande courage et humilité : deux qualités qui définissent la maturité et qui conditionnent la progression personnelle et professionnelle.

Si, en tant que chef, vous ne ressentez pas que vous aidez votre collaborateur à évoluer. Vous n’avez peut-être plus rien à faire ensemble. De la même manière, si en tant que collaborateur, vous n’êtes pas en mesure d’obtenir de votre chef l’aide nécessaire pour devenir une meilleure personne en même temps qu’un meilleur collaborateur, il est grand temps de vous en parler sérieusement. Vous êtes en train de vous nuire mutuellement !

Trois questions, une seule réponse possible : OUI !

Vous voulez savoir, en tant que chef, comment recruter et fidéliser vos collaborateurs. Assurez- vous de pouvoir en tout temps répondre à ces trois questions concernant chacun d’eux.

  1. Est-il, ou est-elle capable techniquement de faire le travail ?
  2. Agit-il, ou agit-elle pour maintenir l’harmonie dans équipe ?
  3. Accepte-il, accepte-t-elle de travailler sous mon autorité ?

Fiez vous à votre ressenti ! Si vous n’êtes pas en mesure de répondre à ces trois questions par un OUI convaincu agissez avant que la situation ne dégénère.